Le monde selon Edéna : Egypte, Grand Sphinx, Pharaons, Nil
Chapitre 9
Le besoin de partir pour l’Egypte ne cesse plus de me titiller les neurones. Cependant Jean-Marc semble vouloir laisser plus de temps à Edéna pour parfaire ma formation. Il repousse mes demandes, sachant parfaitement que j’hésite encore à me lancer seul vers l’inconnu. Alors, en attendant que l’heure soit venue, je calme mes impatiences en lisant, en évoluant avec nos amis dauphins et en rendant visite aux baleines ou aux Sterns. Bianca me connaît bien maintenant et elle n’hésite jamais à venir à ma rencontre. La rapidité avec laquelle elle prend du poids et de la longueur est impressionnante.
Je nage en solitaire dans le lagon lorsque Jean-Marc me rejoint. Je ne sais ce qui a pu l’inciter à considérer qu’aujourd’hui est plus favorable qu’hier ou avant-hier, toujours est-il qu’il me propose enfin ce voyage tellement attendu.
– Attention, me dit-il devant l’enthousiasme que je manifeste, je ne te propose pas une visite de l’Egypte actuelle, je suppose que tu t’es déjà offert ce plaisir. Cette fois nous allons effacer le temps. Que dirais-tu de remonter jusqu’à l’époque de l’édification du Grand Sphinx ?
– J’ai hâte d’y être ! Que dois-je faire ?
– Te concentrer sur l’image de cet animal mythique. À toi de choisir le stade de la construction qui te semble le plus approprié pour notre visite. Si Edéna a fait son œuvre, tu devrais maintenant pouvoir te livrer seul à ces excursions dans la mouvance du temps.
– C’est dans cette attente que tu as mis ma patience à si rude épreuve ?
– Évidemment ! Mon intuition me dit que tu es prêt, même si je n’en ai encore vu aucune manifestation. Nous allons d’ailleurs être fixés rapidement.
– Alors ne perdons plus de temps. Je veux savoir !
– Je vais encore avoir besoin que tu mettes ta petite main dans la mienne, histoire de nous retrouver au même endroit au même moment. C’est toi qui va opérer le transfert pour nous deux car je ne peux évidemment pas voir le Sphinx exactement au même stade d’avancée que toi.
À l’instant où je prends conscience du nouvel environnement qui est le nôtre, je vois le chiffre 11297 s’inscrire devant mes yeux, en surimpression dans le paysage. Je flotte au-dessus d’une savane coupée en deux par un fleuve imposant qui sinue dans une large vallée peu profonde et qui se dédouble en un point de son cours. Le bras dissident fait un écart qui l’étire jusqu’au bord du plateau peu élevé qui borde le côté ouest de la vallée dans le sens du courant, après quoi il retourne dans son lit initial. Jean-Marc est là et il se tourne vers moi avec un petit rire satisfait :
– Je ne m’étais pas trompé, maintenant tu peux aussi voyager dans le passé ou l’avenir. Tu peux désormais aller n’importe où par un simple acte de volonté.
– N’importe où ?
– N’importe où à condition de ne pas oublier que ton corps astral, même s’il n’est plus physique, subit tout de même un peu son environnement. S’il fait froid, tu as froid. S’il fait chaud tu as chaud. Évite de rendre visite à l’astre solaire, par exemple.
– Message reçu. Lorsque j’ai ouvert les yeux sur ce nouveau décor, j’avais le chiffre 11297 qui s’interposait entre lui et moi. Est-ce que cela signifie que nous sommes arrivés en 11297 avant Jésus-Christ ?
– Tout à fait. Ce type d’information nous est fourni parfois, car nous ne sommes jamais vraiment seuls. Maintenant admire ce paysage verdoyant, Antoine, dans quelques millénaires il aura cédé la place au désert.
– Nous sommes donc bien au-dessus de l’Egypte ?
– Oh oui ! Mais une Égypte qui en termine seulement avec sa préhistoire et dont l’histoire commence à se mettre en forme.
– Si ce fleuve est le Nil, il est très différent de celui que je connais. Son lit principal est plus proche du plateau rocheux et il possède un bras qui n’existe plus à notre époque.
– Son cours a été partiellement dévié afin de le faire passer à proximité du plateau qui le borde à l’ouest où se sculpte le Sphinx et s’édifie son temple et où s’implanteront, dans bien des millénaires, les pyramides de Gizeh. Les concepteurs avaient besoin d’acheminer une quantité considérable de blocs de pierre pour leurs travaux, ceux récupérés dans la masse rocheuse autour du Sphinx ne pouvant suffire, alors ils ont détourné une partie du fleuve, qui était effectivement plus proche que de nos jours, afin d’aménager une écluse pour faire monter les bateaux transporteurs jusqu’au niveau de la construction.
Lorsque nous approchons du plateau, je constate qu’il s’y déroule une activité intense. De nombreux personnages à la peau sombre façonnent la pierre qu’ils taillent soit directement dans la masse rocheuse, soit dans des blocs disposés à proximité du bras ajouté au fleuve.
Chaque individu est simplement revêtu d’un pagne et chaussé de sandalettes. Sur le devant de certains pagnes est imprimé en rouge un instrument de précision, une sorte de pied à coulisse. L’un des personnages nous montre la paume de sa main dans laquelle est dessiné un carré.
Je suis assez surpris de constater que nous ne sommes pas invisibles aux yeux de ces êtres et j’en fais la remarque à mon ami :
– Comment se fait-il qu’ils nous voient ? Ce ne sont que des humains comme nous, je dirai même des sortes d’esclaves, portant la marque de leur métier.
– Le carré et le pied à coulisse sont là pour indiquer leur profession et ce ne sont pas des esclaves, me répond Jean-Marc. Ce sont des Égyptiens de l’époque. Ils sont chez eux, et tu as raison, ils nous voient. Il faudra que tu prennes l’habitude de considérer que la quasi-totalité des êtres évolués qui nous ont précédés sur la planète avait ce pouvoir et quelques autres encore. C’est avec la destruction de Muu, puis de l’Atlantide, que ces facultés ont progressivement été retirées aux hommes. À nous deux, Edéna les a rendus, mais seront-elles à nouveau un jour l’apanage de tous est une question à laquelle seul Dieu peut répondre.
– Que voient-ils réellement ? Nous ne sommes que des ombres, des fantômes !
– Eh bien ! ils voient des ombres, ou plutôt des sortes d’hologrammes. Ils voient ce que nous sommes dans leur espace, comme l’ont fait les licornes. Mais contrairement à elles ils ne peuvent nous parler parce que le temps nous sépare.
– Et ces êtres sont capables de telles réalisations ?
– Ce sont des ouvriers recrutés dans la population locale et des Nubiens. Ils exécutent un travail important et urgent sous la direction éclairée des toujours actifs représentants de nos chers amis du « Peuple inconnu ».
– Ils ne semblent pas près d’en finir ! Pour le moment je ne vois qu’une masse informe en saillie au milieu d’une cuvette creusée dans le calcaire du plateau ! Surtout que certains de ces hommes ne paraissent pas vouloir se bousculer à la tâche.
– Tu juges un peu trop rapidement, Antoine, et cela t’éloigne de la vérité. En réalité, à l’instant que tu as sélectionné pour notre visite, le plus important du travail est déjà fait car il consistait précisément à creuser la roche sous le niveau du sol pour y aménager des salles. Il ne s’agit plus, à partir de là, que de détourner l’attention en surmontant le tout d’une statue. Quant à ceux des personnages qui donnent cette impression de lenteur, ce sont des hommes qui meurent lentement d’un fléau bien connu de nous : la radioactivité. Elle a souvent sévi par le passé. Beaucoup de gens en subissent encore les conséquences à l’époque où nous venons d’apparaître. Il y a eu de nombreux morts pendant la construction, mais cela n’empêchera pas les travaux d’être menés à bien. Avant de pénétrer à l’intérieur de ce futur mastodonte, fixe bien ce qui en est déjà visible et essaye de voir ce que cela va devenir. Avec tes nouveaux pouvoirs, tu devrais y arriver aisément.
Quelque peu sceptique je fais néanmoins ce que Jean-Marc me demande et j’ai la stupéfaction de constater que cela marche. C’est même extrêmement facile ! J’en exprime le désir et il se concrétise. J’ai devant moi la reproduction grandeur nature de ce que va donner le travail en cours. C’est exactement comme si j’y étais. Je suis présent à une époque où la roche n’est encore qu’une masse informe, et pourtant je peux voir le Sphinx terminé, impressionnant et libre de tout ensablement. Il trône, immense et solitaire dans son décor de verdure où s’ébattent des animaux sauvages identiques à ceux de la savane de notre Afrique du Sud. La désertification ne s’est pas encore manifestée.
– Magnifique, n’est-ce pas ? intervient Jean-Marc. Et comme tu peux le voir, il a déjà une tête d’homme sur son corps de lion.
– Ce qui veut dire que la prétendue ressemblance avec le pharaon Khephren, qui ne naîtra que dans plusieurs millénaires, est aussi le fruit d’élucubrations ? Tu sais qui a inspiré ce personnage ?
– Probablement personne en particulier.
– Pourtant cette tête est en elle-même un point d’interrogation ! Elle n’est pas l’image d’un pharaon, mais les pharaons, eux, ont bien l’air de l’avoir prise pour modèle. C’est elle qui a donné son aspect au némès ?
– La réponse est évidente.
– La civilisation pharaonique est un prolongement, un héritage de celle qui a inspiré le Sphinx. C’est ça ? Beaucoup de temps s’est écoulé, mais ce temps-là n’a rien changé à l’affaire et dans l’intervalle les peuplades qui vivaient sur ces terres ont évolué sous la férule de descendants des constructeurs ?
– Et des Grusiens. Les pyramides aussi trouvent leur inspiration dans ce passé mystérieux qui a planté ses graines pyramidales jusque sur le continent américain. Ce fleuve que nous côtoyons est le Nil bleu. Il ne sera rejoint par le Nil blanc que beaucoup plus tard, lorsque l’édification de la Grande Pyramide nécessitera que d’autres écluses soient construites pour accéder au plateau.
– Raconte !
– Ce n’est pas le moment et cela nous conduirait trop loin. Nous sommes là pour le Sphinx et je crois qu’il est temps de fouiller ses entrailles. Je te précède ?
– Puisque tu ne veux pas m’en dire plus sur les amours des deux fleuves !
Jean-Marc se dirige vers les pattes de devant qui ne sont encore que des avancées à peine ébauchées. Entre elles s’enfonce une galerie peu éclairée dans laquelle nous pénétrons.
– Lorsque la Grande Pyramide sera terminée, me dit mon ami, il y aura une seconde entrée dans le Sphinx. Une galerie secrète raccordera les différents monuments pour permettre à certains initiés de circuler entre les informations. En attendant, il n’existe que cet accès.
Il y a plusieurs salles dans le ventre de l’être mystérieux et dans la première, vaste, sont allongés trois personnages, je devrais dire trois cadavres car il s’agit de momies. Les dépouilles desséchées sont étendues à même le sol, sans autre ornement qu’un épi de blé dans la main droite. Je n’ai pas besoin de questionner Jean-Marc qui précise de lui-même :
– Ce sont trois personnages importants du temps de la construction, de grands personnages. Deux autres les rejoindront avant que l’œuvre ne soit définitivement scellée. Dans un lointain avenir, des hommes accèderont à ce tombeau et les cinq corps seront toujours là, momifiés et révélateurs.
– Tu sais quand ?
– À ce moment-là, le Sphinx sera entièrement dégagé de l’enveloppe de sable dont le temps le gratifiera périodiquement. J’ai vu arriver des instruments modernes venus pour creuser autour, mais il faudra des individus bien plus évolués que ne le sont nos contemporains. L’accès à la salle des morts, et aux autres aussi, d’ailleurs, aura lieu à la suite de travaux entrepris pour creuser dessous, mais seul un initié pourra ouvrir la vraie porte, celle qui conduit au secret du « Peuple inconnu » et dont le mécanisme indétectable lui sera révélé. Pour lui les mensurations du Sphinx auront de l’importance, extérieures mais aussi intérieures.
– Ainsi que son aspect mi-homme, mi-bête ?
– Non, en tout cas, je ne le pense pas. L’aspect animal n’a pas plus d’intérêt que n’en a l’apparence du visage. Ce ne sont que des fantaisies d’architectes. La pièce suivante est plus digne d’attention.
Deux coffres d’ébène sont posés devant un mur de cette autre salle et une inscription les surmonte dont je ne parviens pas à lire un traître mot, mais que, bien entendu, mon guide traduit aussitôt :
– Cette inscription signifie qu’il y a du danger à prendre connaissance des informations contenues dans les coffres. Les écrits, rédigés sur des feuillets en paille de riz, renseignent sur les origines de l’humanité, le façonnage de la matière inerte, l’astronomie, etc. Il y a aussi des directives de nos amis.
– Dont on retrouve décidément la main partout !
– Il y a si longtemps qu’ils veillent sur les mondes de notre galaxie !
Pendant ce court échange, je me suis approché d’une ouverture claire qui donne accès à une nouvelle salle. Une forte luminosité émane d’un orifice percé au centre de la pièce et jaillit vers le plafond. Il y aurait donc encore quelque chose plus bas. Je m’avance et ne peux retenir une exclamation :
– Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est ?
– Au fond de ce boyau lumineux tu peux entrevoir un objet de forme vaguement arrondie, mais couvert de protubérances, me dit l’éternel Jean-Marc qui a suivi. C’est par la percée de ce couloir et l’introduction de l’objet qu’a été entamée la construction du Sphinx. Son importance est capitale car il apporte une connaissance essentielle au salut de l’humanité : l’art de domestiquer le Soleil. S’il n’avait pas été dompté, tes yeux seraient brûlés alors qu’il est parfaitement possible de regarder la chose sans risque. Les Atlantes et les habitants de Muu connaissaient cet art qui permettrait aux hommes de notre civilisation de découvrir des lois qu’ils n’imagineront pas avant longtemps. Mais attention à l’avertissement, la manipulation du secret est dangereuse !
– Je viens d’avoir devant les yeux l’image d’un cygne en vol. Est-ce qu’il y a un rapport avec le Sphinx ?
– Sans aucun doute car j’ai déjà été confronté à cette image. Il existe indiscutablement un lien important entre le Sphinx et la constellation du cygne.
– L’image m’est apparue lorsque nous parlions de la domestication du Soleil. Cela veut peut-être dire que ce sont des êtres venus de cette constellation qui en ont enseigné l’art aux humains.
– Pourquoi pas ? Mais la relation n’est peut-être que mathématique et peut ne concerner que les mensurations dont nous avons parlé. Je n’ai pas la réponse. Pour en revenir à l’objet lumineux, il porte le numéro deux car il n’est pas le seul à avoir été implanté dans les entrailles de notre planète. Sans doute pour nous donner plus de chances de le découvrir. Mais il est un autre secret enfoui aussi sous le Sphinx et que l’on n’est pas près de retrouver : le « Talisman de Seth ».
– J’ai lu quelque chose sur ce talisman, avant de venir sur Edéna. Sauf erreur il y a un rapport avec le troisième fils d’Adam ?
– Exact, Antoine. Seth était possesseur d’un secret qui s’est transmis ensuite à tous les pharaons, lors de leur avènement, en tout cas jusqu’à Hatchepsout qui semble en avoir été la dernière détentrice. Ce secret existe toujours, enfoui au plus profond du Sphinx, mais aussi dans la Grande Pyramide.
– Que sait-on de son contenu ?
– Rien. Mais il concerne plus que probablement les origines successives de l’humanité.
Nous revenons sur nos pas et j’aperçois un trou qui avait échappé à mon regard lors du premier passage. Il est vrai qu’il ne bénéficie d’aucun éclairage particulier et qu’il est situé dans un angle. Jean-Marc, qui a remarqué mon coup d’œil, me dit que ce n’est qu’un boyau qui s’enfonce profondément sous la construction et qui se termine dans l’eau. Mais, à la réflexion, n’est-ce pas au fond de l’eau que peuvent se cacher les plus grands secrets ?
L’ouverture entre les pattes du Sphinx est assez large pour nous permettre d’émerger ensemble à l’air libre et de nous élever au-dessus du chantier.
J’éprouve immédiatement un véritable malaise avec l’impression que mon cerveau est projeté en arrière. Devant moi, dans la nuit, le ciel tombe sur l’horizon. Les étoiles défilent de haut en bas à toute vitesse et j’ai le cœur dans la bouche. Lorsque le phénomène se calme Jean-Marc est près de moi et il a visiblement tout autant de mal à reprendre ses esprits. Entre deux nausées, je demande :
– Tu sais ce qui vient d’arriver ?
– Je n’ai jamais été confronté à ce type de situation ! Le Sphinx semble avoir disparu et j’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête ! Il fait nuit maintenant et nous nous sommes visiblement déplacés dans le temps et l’espace car le peu de clarté qui règne encore permet de distinguer de l’eau partout où le regard se porte. Je n’y comprends rien, mais je remercie le ciel d’avoir permis que nous restions ensemble.
– Ce changement pourrait-il vouloir dire que nous avons été projetés volontairement à une autre époque ?
– C’est certain, mais nous n’en apprendrons pas beaucoup plus si nous restons dans le noir. Laissons-nous dériver à la poursuite du Soleil.
Rapidement la luminosité augmente et nous survolons un paysage de désolation. À mesure que nous progressons, les choses semblent empirer. Partout le sol est recouvert d’eau et les arbres qui sont encore debout n’ont plus de tête. Ce ne sont que des tiges torsadées qui se dressent, lamentables. Et puis les premiers humains apparaissent. Les vivants se battent contre les éléments, totalement paniqués dans ce décor de folie. L’eau monte dans des habitations partiellement écroulées ou décapitées. Des objets de toutes sortes surnagent au milieu de cadavres qui se heurtent et bousculent les fuyards. Nous sommes impuissants devant les hurlements de détresse que nous ne pouvons qu’imaginer. Les animaux aussi sont lancés dans une course éperdue. D’énormes mammouths écrasent tout sur leur passage, interrompant brutalement des cris que nous devinons. Ils piétinent leur victime qu’ils enfoncent dans l’élément liquide. Plus nous avançons, plus le désastre prend de l’ampleur.
Soudain mon cerveau est à nouveau projeté vers l’arrière avec la même brutalité. Les quelques étoiles encore visibles dans le ciel plongent sur l’horizon et le même malaise m’étreint avec les mêmes nausées.
– Bon Dieu ! Que se passe-t-il encore ?
– Nous avons été projetés en plein basculements de la planète ! La Terre vient de changer d’axe en deux mouvements distincts et nous ne sommes pas seuls à assister au spectacle. Regarde au-dessus de nous, il y a des objets qui semblent faire le point fixe pour ne rien perdre de la situation.
– Tu crois qu’il y a du monde dans ces engins ? Des curieux ? Pourquoi ne font-ils rien ?
– Que veux-tu qu’ils fassent ! La catastrophe est planétaire et ils ne peuvent qu’observer en espérant peut-être que cela ne va pas perturber le bon fonctionnement du système solaire.
Il fait tout à fait jour, maintenant, et je vois mieux les quelques êtres qui parviennent encore momentanément à résister à la montée inéluctable des eaux en se réfugiant sur des hauteurs. Ils sont de taille moyenne avec une épaisse chevelure qui hésite entre le châtain et le roux. Ils sont habillés très courts et plutôt de blanc. Un bateau rempli d’hommes barbus se dirige à force de rames vers l’est.
– Je me demande si ce n’est la fin de l’Atlantide, pense tout haut Jean-Marc. Elle s’est faite en deux temps. Il y a d’abord eu une destruction, partielle, il y a très longtemps, puis la définitive, celle qui est restée dans le souvenir de l’humanité et que nous venons peut-être de vivre. Je viens de voir apparaître dans le ciel deux immenses roues reproduisant les signes du zodiaque. Elles étaient fixées sur de grands axes et une longue chaîne pendait au bout de l’un d’eux. J’ai d’abord, en rapport avec le signe du Capricorne, vu des gens allongés mollement dans l’herbe au milieu des fleurs, comme s’ils s’étaient reposés pendant toute la durée de ce signe. C’était très loin dans le temps, presque un passage complet du zodiaque. Si de telles images sont à rapprocher des évènements que nous sommes en train de subir, cela doit vouloir dire qu’une situation semblable est survenue à la fin de l’ère symbolisée par le signe du Capricorne, il y a par conséquent au moins vingt mille ans. Sans autre indication j’ai vu ensuite des masses considérables de gens qui avançaient dans un paysage sec et désertique et j’avais la certitude que ces gens avaient un objectif lointain, mais précis. Le Sphinx, par exemple, comme si celui-ci avait été construit avant un changement d’axe de la planète spécialement pour servir de point de mire. C’est peut-être là que se trouve l’explication de l’aspect léonin du monument : une indication sur l’époque de la fin de la migration. En tout cas ces gens savaient parfaitement ce que contenait l’objet qui était là pour les guider.
Nous nous déplaçons toujours d’est en ouest. Sous nos yeux, il n’y a plus maintenant que l’océan. Tout a été englouti, du moins le pensons-nous jusqu’à ce qu’apparaissent plusieurs îles qui sont comme des pics émergeant de l’océan.
– Je crois bien que c’est tout ce qu’il reste de l’Atlantide, murmure Jean-Marc. Il n’a pas fallu plus d’une nuit pour anéantir la dernière grande nation de la planète et la réduire à quelques arpents de terre sur lesquels les rares survivants ne tarderont pas à retourner à l’état sauvage. C’est, en plus réduit, le sort que les Atlantes ont fait subir aux habitants de Muu !
Je m’apprête à lui répondre que c’est un juste retour des choses, lorsque je sens comme un appel des profondeurs, au large de la plus grande des îles. Je me laisse aller et je sais que mon compagnon me suit dans l’eau. À la limite de pénétration de la clarté solaire, une immense coupole d’une matière qui ressemble à du verre est posée sur le fond marin. À l’intérieur, un aigle de lumière palpite sur un piédestal. Aucun être humain ne manifeste sa présence, mais d’innombrables appareils clignotants équipent ce lieu insensé et une main qui flotte dans l’air nous indique un passage à emprunter pour descendre au cœur de l’étrange cité sous-marine. Tout en bas, dans une cuve de même matière que la coupole, nous nous retrouvons en présence d’une boule de lumière identique à celle qui vit au sein du Sphinx. Je me hasarde :
– Voilà sans doute le numéro un ?
– Exact. Un troisième exemplaire se trouve quelque part dans les Andes. Il existe toujours, là-bas, en pleine jungle, une cité qui n’a pas été découverte. En son centre, il y a une pyramide avec les mêmes informations que celles qui se trouvent sous le Sphinx et sous cette coupole de verre. La cité est cachée sur les hauts-plateaux, pas tellement loin du lac Titicaca, dans une immense mer de verdure qui laisse difficilement apercevoir les ruines entourées de douves remplies d’eau. Ce n’est qu’une petite pyramide, à peine de la hauteur d’une maison de deux étages. Elle est bâtie de pierres ocre et son sommet est plat. Elle n’a pas de porte. Elle est intacte et n’est pas recouverte d’herbe, contrairement au reste de l’agglomération. Elle aussi est entourée d’eau et les vestiges d’un pont d’accès sont encore visibles sur le côté intérieur du fossé. Tout autour, et seulement dans le voisinage immédiat de la pyramide, il y a profusion de fleurs : des flamboyants. Pas très loin se trouve une montagne arrondie et dénudée d’où ont été extraites les pierres qui ont servi à la construction des divers édifices. Il faudra de bien grands bouleversements pour que les hommes puissent accéder à cette science du Soleil !
Nous remontons et Jean-Marc, qui s’est approché d’un écran, me fait signe de le rejoindre. Une carte y est représentée. J’y retrouve les côtes qui bordent l’océan Atlantique, telles que je les ai toujours connues. Une croix surmontée du chiffre trente-sept marque un point sur l’eau.