Edena Chapitre 5

Lecture d'été

EDENA la suite

Le peuple Stern, son histoire, sa provenance, peut-être un peuple sauveur profitons de leur savoir comme nous saurions imprégner très profondément le subconscient des prochains survivants, peut-être que la peur de les reproduire aura un effet salutaire, du moins pour assez longtemps.

CHAPITRE 5

Les battements de mon cœur se sont calmés et c’est protégé par une haie de dauphins que je pénètre dans le tunnel à la suite d’Arian.

Il ne fait pas sombre dans ce boyau qu’éclaire une lueur bleue dont l’intensité augmente à mesure que je progresse et qui m’est bien utile pour avancer. Je dois nager mais en ondulant comme un dauphin car la largeur de cette tuyauterie particulière n’autorise pas de grands mouvements de bras. Elle monte et descend à plusieurs reprises en une succession de courts siphons. Dans les parties basses brillent de petites billes de différentes tailles.

Je débouche à l’air libre à côté d’Arian. L’ouverture est juste assez grande pour nous deux et se trouve au centre d’une salle d’environ quatre mètres de diamètre. Elle est éclairée par la lumière bleue qui m’a permis de ne pas évoluer en aveugle. Cet orifice s’ouvre dans une surface plane, circulaire, constituée d’une matière qui ressemble à du marbre blanc. Le plafond, en forme de dôme, est percé d’une multitude de trous d’où émergent de petits champignons lumineux qui émettent la lumière bleue et donnent à la coupole l’aspect d’une voûte céleste constellée d’étoiles. À la droite d’Arian, une silhouette évanescente comme un hologramme est assise en tailleur et nous regarde en souriant. Surpris je demande stupidement :

– C’est toi Jean-Marc ?

La silhouette hoche affirmativement la tête, mais c’est Arian qui intervient :

– Il ne peut pas te répondre et tu ne peux pas l’entendre car vous êtes dans des états trop éloignés.

Je souris à mon ami et poursuis l’inventaire des lieux. Le sol est partout recouvert d’une sorte de sable qui est un mélange de grains noirs, blancs, roses et de perles de ces mêmes couleurs et de différentes tailles. Ce qui me choque, c’est la présence de plusieurs squelettes parfaitement conservés. J’ai une pensée attristée pour ceux qui sont venus mourir là et que je suppose être des dauphins.

– Ne sois pas triste pour eux, ils sont morts depuis si longtemps ! Ce sont bien des dauphins, des amis du passé qui ont voulu terminer leurs jours en notre compagnie.

Les paroles qui viennent de s’inscrire dans ma tête n’émanent pas d’Arian qui me considère avec un air béat. Son œil est encore plus pétillant qu’à l’habitude et je devine que la surprise qu’il m’a préparée doit être plus grande que tout ce que je peux imaginer. Comme elles ne viennent pas non plus de Jean-Marc qui ne peut communiquer avec moi, dans son état…

– Ne cherche pas, Antoine. Sors de ce trou d’eau et installe-toi confortablement.

Je fais ce qui m’est suggéré après quoi j’observe le sable de plus près. Il ne colle pas à ma peau mouillée. Des perles, voilà sur quoi je suis assis ! Des perles noires, roses et blanches, des milliers, des centaines de milliers de perles minuscules et, par-ci par-là, d’autres, de taille plus conforme aux standards de la bijouterie féminine. Sur tout le pourtour, sur environ quarante à cinquante centimètres du bord de la pièce, leur densité est plus importante. Les squelettes eux-mêmes sont par endroits couverts de ce produit surprenant.

– Ce que tu as pris pour du marbre est aussi fait de ces perles accumulées au fil des millénaires. Le temps, l’air, l’eau et plus récemment le poids des dauphins, les ont altérées, effritées, comprimées, blanchies et transformées en ce matériau dur comparable à du marbre.

– Qui me parle ?

– Nous sommes au-dessus de toi, Antoine, des milliers d’individus qui ne s’expriment dans ton cerveau qu’avec une seule voix.

Je me dresse et touche précautionneusement du doigt une de ces protubérances lumineuses qui constellent la voûte. Elle est chaude et vivante. Elle se rétracte légèrement.

– Tu viens de toucher l’un de nous, l’un des membres du peuple Stern exilé sur ta planète. Pas trop surpris ?

– Surpris, si, mais pas outre mesure. Je commence à m’habituer à tout cet extraordinaire que je découvre depuis un certain temps.

– Il est vrai que tu es particulièrement gâté depuis quelques mois.

– Vous savez ?

– Nous pouvons lire en toi, comme nos amis communs. C’est grâce à cette possibilité que nous avons pu informer Arian de l’attaque du requin.

–  J’aurais dû penser que cela venait de vous ! Merci.

– Ce n’est rien et il aurait été dommage de laisser disparaître le premier homme à pouvoir renouer avec les peuples de la mer, surtout qu’à leur demande tu es l’unique être humain, en chair et en os, autorisé à franchir notre siphon d’accès.

– Et Jean-Marc ?

– Jean-Marc n’est pas ici en chair et en os.

– Vous jouez sur les mots, le résultat reste le même. Aucun humain jamais ? Pas même lors des civilisations du lointain passé ?

– Jamais quelqu’un possédant de l’intelligence, mis à part les dauphins depuis qu’ils ont fait leur apparition dans les océans terrestres.

– Alors, pourquoi Jean-Marc et moi ?

– Si le cataclysme que tout laisse prévoir survient, il faudra aider les survivants à repartir du bon pied. Tu sais que c’est la raison de votre présence à tous deux sur Edéna. Si vous êtes ici c’est tout simplement parce que nous avons décidé de vous aider dans cette tâche.

– Je crois que vous ne serez pas de trop !

– Ne va pas imaginer que notre intervention est désintéressée. Nous savons tout du passé de la planète et de ses occupants successifs, ainsi que de leurs naufrages et des catastrophes que cela a généralement entraînées. L’évolution sans directives ni connaissance des erreurs précédentes va à l’échec. Enfin presque toujours, car certaines civilisations ont été éliminées par des cataclysmes planétaires qui ne leur ont pas laissé le temps de s’autodétruire. Bien dirigée, une nouvelle humanité pourra peut-être avancer sans casse et nous éviter, à nous, peuple Stern, cette crainte si souvent renouvelée de voir la Terre voler en éclats par la faute de sa population. Nous aimerions participer à l’élimination de cette menace périodique que nous n’avons que trop souvent vécue.

– Vous êtes terrifiants !

– Nous sommes surtout terrifiés par la stupidité incontournable des humains, alors que nous savons, pour l’avoir vécu, que la destruction d’une planète n’est pas une utopie. Elle est si belle votre inimitable Terre !

– Pourquoi inimitable ? Elle est unique en son genre ?

– La Terre est exceptionnelle par sa beauté et son rayonnement. C’est ce qui explique, en partie, les nombreuses visites dont elle est l’objet de la part des autres peuples de la galaxie. Sauver cette merveille tout en nous sauvant tous, n’est-ce pas un programme digne d’intérêt ?

– Je ne prétendrai pas le contraire ! Et comment espérez-vous y parvenir ?

– Par l’information. Si vous savez tout des échecs subis et des catastrophes provoquées par ceux qui vous ont précédés sur ce globe et si vous pouvez en imprégner très profondément le subconscient des prochains survivants, peut-être que la peur de les reproduire aura un effet salutaire, du moins pour assez longtemps.

– Je vous trouve bien optimistes ! Qu’en penses-tu, Arian ?

– J’en pense que c’est une solution qui a le mérite de ne pas nous forcer, une fois de plus, à endurer les événements. Peut-être qu’effectivement la peur d’aller à la destruction sera plus forte que la bêtise.

– Toi aussi, je te trouve bien optimiste. Mais vous avez tous raison, mieux vaut tenter une action que subir la situation. Et si maintenant la voix collective me disait qui est exactement le peuple Stern ?

– Nous sommes des immigrés. Nous venons d’une planète lointaine qui a disparu. Tu es actuellement dans ce qui subsiste d’un vaisseau spatial tombé sur Terre il y a si longtemps, des milliards d’années, que nous avons parfois du mal à nous souvenir. Votre globe venait à peine de terminer sa formation lorsqu’un accident a forcé nos ancêtres à s’y poser en catastrophe.

– Il y a si longtemps ? Ce n’est pas croyable !

– C’est pourtant vrai. C’était il y a plus de quatre milliards d’années terrestres. Nos ancêtres ont été tués en grand nombre et les survivants n’ont pas eu le choix de leur destination. Ils ont posé les restes du vaisseau au fond de l’eau qui semblait couvrir toute la surface du globe. Ce n’est que plus tard qu’ils ont découvert l’existence d’un immense et unique continent. Sur le moment ils n’ont eu d’autre préoccupation que de stabiliser leur engin et de se protéger d’une remontée en surface éventuelle qui les aurait mis à la merci des rayons du Soleil.

– En empêchant les mouvements de la croûte terrestre ? Ils en avaient le pouvoir ?

– Non. L’important était d’empêcher la lumière de pénétrer dans ce qui subsistait du navire. Pour cela nos ancêtres ont attiré tout ce qu’il était possible de déplacer par la force de leur volonté pour le coller aux parois et obturer la cicatrice due à la collision. Ils ne savaient rien de l’évolution susceptible de modifier le terrain sur lequel ils s’étaient posés et la seule chose réellement vitale était de se mettre à l’abri des rayons mortels de l’étoile.

– En quoi notre Soleil peut-il être mortel à cette distance ?

– Tu vas comprendre. Nous sommes originaires d’un autre système de cette galaxie, d’une planète aquatique qui s’appelait Stern, d’où la dénomination que nous avons conservée. À l’époque Stern gravitait autour d’une étoile connue des Terriens sous nom de Blue Star, dans la constellation de la Lyre. Sa distance à l’étoile était telle que la chaleur et la lumière de cette dernière ne lui parvenaient qu’avec parcimonie. Tu vois, lumière bleue et faible pour Blue Star, contre lumière éclatante et chaleur pour le Soleil. L’alliage utilisé pour la construction des vaisseaux n’était pas totalement opaque puisque pas nécessaire sur Stern.

– Pourquoi utilisez-vous le passé, en parlant de Stern ? Le fait que vous en soyez partis…

– Stern n’est plus. Ses habitants l’ont volatilisée. C’est pour cela que nous savons à quoi nous en tenir sur les risques encourus par la Terre !

– Comment est-ce arrivé ?

– De la façon la plus traditionnelle : la rivalité entre les êtres.

La civilisation sterne culminait déjà alors que l’homme terrestre n’était pas même encore une hypothèse. Les Sterns étaient arrivés à un stade de développement mental tel qu’ils agissaient directement sur les structures de la matière, pouvant la modeler à volonté. Cette puissance avait causé leur perte. Ils étaient peu nombreux, tout au plus une dizaine de millions d’individus, vivant dans des conditions plutôt défavorables sur une planète aux terres arides, inexploitables et à l’atmosphère à peu près inexistante. La vie sous-marine avait minimisé le développement d’organes comme la vue et l’ouïe, mais favorisé la télépathie, la télékinésie ou la téléportation, toutes formes d’actions accessibles à des cerveaux bien structurés et en mesure de faire appel à tous leurs neurones. Du fait de la petitesse de leur taille, mais aussi en raison de leur pensée collective, les Sterns avaient besoin de se rassembler pour être efficaces. Des groupes s’étaient formés qui avaient pris l’habitude d’agir ensemble. Des oppositions étaient nées entre les groupes souvent composés d’individus de même orientation. À la longue les heurts s’étaient transformés en rivalités et avaient provoqué des affrontements de plus en plus violents avec projections d’objets téléportés jusqu’à l’adversaire et même de rochers tuant des groupes entiers. Lorsque des actions plus graves, comme des espaces marins portés à ébullition pour détruire à plus grande échelle, avaient commencé à être utilisées, quelques milliers d’individus, totalement pacifiques, s’étaient résolus à fuir. Cinq vaisseaux spatiaux avaient alors été construits discrètement, des enveloppes de forme ovoïde susceptibles de contenir chacune dix mille êtres. Ce nombre était nécessaire pour que les cerveaux puissent faire se mouvoir les bolides sans efforts excessifs.

Les navires s’étaient élancés dans cinq directions différentes lorsque le processus fatal d’autodestruction était devenu évident. Quatre mois après le départ, en équivalent de temps terrestre, un terrible cri de détresse s’était imposé à jamais dans les mémoires. L’explosion de Stern avait mis ses occupants définitivement d’accord. Tous les exilés avaient vécu le drame dans le même instant et avec la même intensité. Avec le temps, un silence total s’était instauré entre les vaisseaux désormais trop éloignés pour rester en contact.

– Lorsque nos ancêtres sont arrivés dans le système solaire, le voyage a pris une tournure dangereuse en raison du nombre d’objets célestes qui circulaient encore partout. La malchance a voulu qu’un de ces blocs coupe la trajectoire du vaisseau et le décapite, volatilisant la partie supérieure et ses installations, tuant la moitié des occupants et forçant les survivants à précipiter ce qui restait du navire vers la planète la plus proche. C’est ainsi que le périple s’est terminé ici.

– Les millénaires se sont accumulés, complète Arian, et d’innombrables concrétions ont parfait le camouflage du vaisseau avant même que les continents ne se mettent en mouvement. La plaque sur laquelle ils se sont écrasés n’a jamais été vraiment maltraitée, elle s’est toujours simplement déplacée en suivant le va-et-vient imposé par les autres.

– Et s’il y avait eu danger ? Une émergence, par exemple ?

La voix collective reprend ses explications :

– Nous aurions déplacé le vaisseau ou construit un autre abri. Souviens-toi, nous pouvons agir sur la matière.

– Autre chose. Si j’ai bien compris, sur Stern, vous viviez surtout dans l’eau. Pourquoi avoir aménagé, ici, un espace avec de l’air ?

– Nous avons toujours été amphibies. La situation actuelle est le résultat d’une évolution rendue indispensable par l’apparition de prédateurs de plus en plus nombreux au fur et à mesure du développement de la planète. Notre petite taille faisait de nous des proies faciles. Cet endroit est un abri et l’air nous isole des êtres qui vivent dans l’eau. Produire de l’air n’est rien, nous le faisons chaque fois que nécessaire en décomposant l’eau. Ici nous ne risquons aucun contact accidentel avec votre Soleil et n’avons pas besoin de nous épuiser à repousser ceux qui pourraient nous considérer comme des casse-croûte.

– Les conditions étaient extrêmes sur Stern, comment la vie a-t-elle réussi à s’y développer et à atteindre un tel stade d’évolution ?

– Ce n’est pas aussi surprenant que tu peux l’imaginer. Il y a bien une foule de créatures qui vivent dans les abysses de la Terre. Vous en découvrez régulièrement. Ce sont ces conditions difficiles qui ont fait de nous des êtres de pensée et non de mouvement.

– Ce qui est une autre explication à votre attachement pour cette coupole. Vous ne la quittez plus du tout ?

– Les générations qui ont précédé l’arrivée des dauphins sortaient encore, bien qu’avec prudence, car la puissance mentale qui est la nôtre est tout de même trop limitée pour quadriller le globe depuis ce refuge. Il y a eu des accidents. Les sorties ne sont plus nécessaires depuis que nos amis sont là. Ils sillonnent les océans à l’écoute des agissements humains et nous informent. Jean-Marc aussi, depuis qu’il peut s’évader de son corps.

Je me tourne vers la silhouette de mon ami qui confirme d’un signe de tête tandis qu’Arian intervient :

– Nous informons les Sterns sur le présent et eux nous racontent le passé, celui qui est antérieur à notre venue. Ils nous disent aussi ce qu’ils savent de l’Univers et de leur monde d’antan. Nous bavardons entre amis.

– Et ils mettent une dose de sagesse dans vos têtes de joueurs impénitents ? Dommage qu’ils ne soient pas en mesure d’en faire autant avec les hommes !

– Ce serait au-dessus de nos forces ! Nous sommes si petits et vous êtes si nombreux !

– Puisqu’il est question de votre taille, à quoi ressemble un Stern ?

– Ce que tu vois de ton côté de la coupole est la moitié inférieure de notre corps, notre abdomen. De l’autre côté, il y a la tête, de la grosseur d’un pois, avec deux petites antennes, une bouche, un nez et deux yeux, ces deux derniers attributs étant à peine esquissés puisque pratiquement inutiles. Un cou et quatre membres qui servent surtout à se maintenir en place font la jonction. Individuellement notre force mentale est en rapport avec notre taille, mais, réunies, ces énergies se démultiplient et nous donnent d’extraordinaires capacités comme, par exemple, la possibilité d’influencer les esprits à distance, à condition que cette distance ne soit tout de même pas trop grande. Si Arian n’avait pas réagi aussi rapidement, nous aurions de toute façon exercé cette force contre le requin qui t’a attaqué. Nous nous nourrissons de matières tirées des coquillages qui nous sont apportés par les dauphins ou des poissons suggestionnés à cet effet. Nous fabriquons une pâte qui recouvre entièrement la surface de la coupole, celle que tu ne peux voir. Nos antennes seules dépassent de cet épais liquide nourricier. Pour terminer, sache que nous vivons jusqu’à trois cents ans, en moyenne, et que nous ne connaissons pas cette obligation qu’est pour vous le sommeil.

– Avec tous ces moyens à votre disposition, je ne comprends pas que vous ayez décidé de rester enfermés dans ces quelques mètres cubes d’espace. Vous pouvez vous transporter physiquement n’importe où, à volonté ! Lors d’un déplacement en masse, vous devez être intouchables.

– Il y a bien longtemps que nous ne désirons plus ressembler à ceux qui ont détruit notre planète. Nous sommes devenus des êtres de méditation et seule la nécessité pourrait nous obliger à sortir de cet état. Nous avons trouvé la paix et comptons bien nous y tenir. C’est d’ailleurs en grande partie grâce aux dauphins qui opèrent pour nous au-dehors. Nos pouvoirs télépathiques et les leurs nous permettent de rester en contact presque permanent.

– La paix qui règne ici est fortement palpable, c’est vrai, et j’en suis totalement imprégné. Je baigne dans une ambiance qui met tout mon être hors du temps. C’est magique ! Je serais presque tenté de m’allonger et de ne plus bouger.

J’ai failli joindre le geste à la pensée et ma main dérape sur les perles qui tapissent le sol. Je reviens à ce sujet plus matériel :

– D’où viennent toutes ces perles ?

– Toutes ces billes de taille et de couleurs différentes sont des cadavres, Antoine. Tu es assis sur des Sterns mort-nés. Nous sécrétons un embryon qui se développe dans la partie abdominale de notre corps, mais dont un tiers seulement arrive à maturité. C’est ainsi depuis toujours. Les autres meurent et sont recouverts d’une substance dure et nacrée qui prend une des deux couleurs avant de virer au blanc avec le temps. Les embryons mort-nés de sexe mâle sont de couleur noire et ceux de sexe féminin sont roses.

– Ces perles sont donc de minuscules cercueils en rapport avec un véritable système d’autorégulation.

– On peut voir la chose sous cet angle.

Pendant ces derniers échanges Arian a quitté l’élément liquide pour s’installer à proximité de Jean-Marc. Seule sa queue est encore dans l’eau qu’elle agite doucement. Il me demande :

– Tu as encore des questions ?

– À ton avis ! Si la Terre n’était pas l’objectif du peuple Stern, pourquoi celui-ci n’est-il pas reparti après avoir surmonté le traumatisme de l’accident ?

– Justement parce que notre peuple n’avait pas d’objectif en quittant Stern. Pourquoi pas la Terre plutôt qu’une nouvelle aventure tout aussi hasardeuse ? La planète était vierge et par conséquent idéale.

– Ce qui fait que de génération en génération vous avez été les témoins de toutes les naissances et disparitions qui ont jalonné la vie de notre globe ?

– Sans exception et Dieu sait s’il y en a eu depuis plus de quatre milliards d’années que la mer engendre des êtres vivants et que des peuples extérieurs aident au développement ou ensemencent la planète ! Certaines civilisations n’ont duré qu’une centaine d’années alors que d’autres, comme Muu, en ont traversé un million. Il s’agit des civilisations humaines, en l’occurrence, les baleines étant ici sans rupture depuis le tout début du peuplement.

– Pour les « Grands Anciens », je sais déjà, mais pour les hommes, comment est-ce possible ?

– Ce n’est pas simplement une possibilité, c’est une réalité. Il y a des humains sur cette planète depuis environ trois milliards et demi de vos ans. D’autres t’en parleront. Notre rôle maintenant concerne l’avenir, pas le passé.

– Un avenir que vous considérez comme définitivement compromis ? Pensez-vous qu’il y ait encore une petite chance ?

– Ce que la Terre endure en ce moment n’est pas très différent de ce qu’elle a déjà connu. Pourquoi en irait-il autrement ? L’homme est un prédateur et jusqu’à présent il ne s’est jamais amendé. C’est tout le problème et c’est justement là qu’il faut chercher la solution. Nous en avons vu se développer des civilisations ! Nous les avons vues stagner. Nous les avons vues sombrer.

– Nous nous détruisons donc toujours ?

– Pas toujours. Parfois c’est la planète elle-même qui décide de remettre de l’ordre, lorsque son existence est menacée. Parfois aussi, mais c’est la situation la moins fréquente, le châtiment vient du dehors.

– Et nous sommes dans quelle configuration ?

– Celle de la planète en révolte. As-tu une idée des conséquences que pourrait avoir la disparition de Terre sur le système solaire et peut-être sur le reste de la galaxie ? Sans intervention du « Peuple inconnu », un événement de ce genre aurait déjà pu survenir. Pas de questions, Antoine, tout ce que nous te dirons c’est qu’il s’agissait de la jumelle de Terre et qu’il en reste des traces dans le système solaire. La suite, si personne n’a parfait ton éducation, ce sera pour une autre fois car il va être temps pour toi de prendre le chemin du retour.

– Cette rencontre aura été un vrai bonheur et j’espère que nous pourrons la renouveler. Merci d’avoir bien voulu m’accepter dans votre sanctuaire.

– Jean-Marc et toi serez toujours les bienvenus et nous pensons que tu seras bientôt en mesure de voyager comme ton ami, sans avoir à transporter ce corps un peu encombrant.

– À bientôt donc.

Arian se laisse glisser dans le tunnel et au moment d’en faire autant je vois Jean-Marc se diluer après un petit signe de la main.

Nous sommes à nouveau dans l’océan et les dauphins nous entourent joyeusement. Nous montons faire provision d’air frais et nous repartons en direction d’Edéna.

Sur le chemin du retour, nous commentons longuement la rencontre avec ces êtres dont la présence sur Terre est si extraordinaire. Cette fois encore, le temps passe vite. Jean-Marc est assis sur la plage pour nous accueillir et je le suis pour aller me plonger dans le bassin, histoire de me laver de tout le sel accroché à ma peau et de me donner un coup de fouet.

– Tu imagines les perspectives qui s’ouvriraient à nous si les Sterns voulaient bien sortir de leur tanière ? me demande Jean-Marc.

– Je ne cesse d’y penser !

– Ils ne veulent pas en entendre parler et nous devons nous estimer heureux d’être accueillis alors qu’ils ont toujours refusé tout contact.

– Sais-tu ce que j’aimerais voir dans le vaisseau des Sterns ?

– Figure-toi que je commence à lire dans tes pensées. Est-ce que cela n’aurait pas un rapport avec l’aspect de ses occupants ?

– Tout juste ! Je voudrais pouvoir passer de l’autre côté de la coupole pour voir leur tête. Quand je pense à tout ce qu’il y a d’intelligence et de puissance dans l’équivalent d’un pois ! La curiosité me démange !

– Ce sera possible dès que tu auras la capacité de me suivre en laissant ton corps ici.

– J’espère que ce ne sera plus trop long !