Edena chapitre 15

Initiés

Edena

Histoire d’Egypte : de ce Nil blanc et bleu qui arrive des entrailles de l’Afrique, ces pharaons qui nous fascinent, leur vie en passant par les pyramides au construction frisant l’obsession de réalisation que seul les architectes Sennout, Énoch ont réussi le pari d’élever à la gloire des défunts pharaons Imhotep, Hatchepsout, Kheops, Thoutmosis, les autres ne sont pas délaissés pour autant

CHAPITRE 15

L’Égypte, j’en ai rêvé plusieurs nuits de suite avec un Dieu, vieillard barbu sorti tout droit de mon catéchisme, pour me montrer d’un doigt impératif des lieux ou des monuments issus de mes lectures et d’un voyage organisé accompli au pas de course.

Je m’en ouvre à Jean-Marc :

– Quand je te disais, l’autre soir, que j’aimerais sombrer dans les bras de Morphée afin de rêver d’Égypte, je n’imaginais pas que cela friserait l’obsession ! Nuit après nuit je me retrouve là-bas avec une régularité de métronome.

– Mais ce n’est qu’une réédition de ce que tu sais déjà ! Je connais. Si tu veux je t’emmène voir la femme la plus extraordinaire de la XVIII° dynastie ?

– Hatchepsout ? J’ai visité son temple.

– Les représentations que l’on a pu retrouver d’elle ne donnent qu’un faible aperçu de sa beauté et de son charisme.

– Qu’est-ce qu’on attend ?

Je me rattrape in extremis alors que je suis en passe de basculer dans l’eau d’un bassin au bord duquel je viens d’aboutir, un pied sur le sol, l’autre dans le vide. Il fait nuit, mais la Lune projette sur l’herbe rase et les bosquets de fleurs, l’ombre des acacias et des sycomores.

– Si tu avais été physique tu flanquais la pagaille parmi les canards du bassin, s’amuse Jean-Marc. Suis-moi, nous sommes au cœur du palais, tout près des appartements d’Hatchepsout.

Mon ami se dirige sans hésitation vers un imposant corps de bâtiment que longe une galerie ouverte sur le parc et que de solides piliers ouvragés soutiennent sur sa partie externe. Nous nous y engageons. Nous n’avons parcouru que quelques mètres lorsqu’il accélère le pas et que je sens une certaine inquiétude s’installer dans son esprit. Je l’interroge par la pensée :

– Il se passe quelque chose d’anormal ? Tu sembles inquiet tout à coup !

– Il y a un problème. Il devrait y avoir des hommes en armes devant l’entrée principale qui donne sur cette galerie. Les appartements de pharaon sont toujours gardés.

Jean-Marc s’arrête devant une porte monumentale à double battant. Elle est entrouverte. La pénombre ambiante due aux arbres proches et que ne perce que difficilement l’astre de la nuit, en laisse cependant entrevoir les dorures. Nous entrons dans ce qui doit être une sorte de vestibule dont je ne peux distinguer les contours. Le rayon de lune qui s’infiltre ne parvient pas à le sortir suffisamment de l’ombre. Nous traversons une succession d’autres pièces dont les portes sont grandes ouvertes jusqu’à une dernière ouverture qui donne dans une salle éclairée par une lueur tremblotante comme celle que peuvent émettre une bougie ou une lampe à huile. En travers de l’ouverture, allongée sur une natte, une jeune fille nue dort en chien de fusil. Son sommeil est agité.

Je l’enjambe à la suite de Jean-Marc pour pénétrer dans une vaste chambre. Mon ami s’immobilise et je l’imite aussitôt. Une lampe à huile brûle sur une table au centre de la pièce ainsi qu’une seconde, au fond, sur un coffre près d’un lit aux angles sculptés de têtes de lions. Il y a des meubles partout avec beaucoup d’ors, des décorations et des peintures murales, mais je n’y prête pas attention, l’œil immédiatement attiré par la silhouette d’une femme qui se déplace nerveusement en tous sens. Elle n’est vêtue que d’une légère et courte tunique qui ne dissimule rien de son corps lorsqu’elle passe entre la lumière et nous. Cette tenue me donne à penser que la dame était sur le point de se coucher ou qu’elle s’est relevée, incapable de dormir, contrairement à sa servante. Elle serre et desserre ses mains qu’elle écrase contre sa poitrine. Le maigre éclairage des lampes projette sur son visage des alternances d’ombres et de lumières qui font luire ses yeux de chatte, tour à tour apeurée ou furieuse.

Tout à coup, elle s’arrête et se tourne dans notre direction. Elle reste ainsi, figée, interrogative, la tête légèrement penchée sur le côté, ses cheveux de jais recouvrant sa poitrine et cachant ses mains qui se sont immobilisées, elles aussi. Elle hésite longtemps avant de se remettre en mouvement.

Je suis surpris par ce comportement car je sais qu’elle ne peut nous voir. À l’époque que nous sommes venus hanter, le cerveau humain a depuis longtemps perdu ses pouvoirs. Jean-Marc ne semble pas aussi étonné que moi :

– Quand je te disais qu’elle était remarquable ! Je suppose que tu as compris que ce corps magnifique, toujours jeune, et ce visage, appartiennent à Hatchepsout ? Le faible éclairage n’enlève rien à la force et la beauté qui se dégage de cette femme exceptionnelle. Elle ne peut nous voir, mais il est évident, malgré les soucis qui semblent la ronger, qu’elle a parfaitement senti notre présence, même si elle est incapable de la comprendre.

– Il arrive quelque chose de grave, n’est-ce pas ?

– Oh oui ! Le futur et ambitieux Thoutmosis III et ses acolytes sont sans doute sur le point de passer à l’action, ce qui signifie que tout est fini pour elle. Je me suis connecté à son esprit. Elle est certaine que sa fin approche et elle ne la redoute que parce qu’elle se demande sous quel aspect la mort va se présenter. Maintenant elle revoit des images du passé ! Fais comme moi, accroche ses pensées.

À l’instant où je m’introduis dans son esprit, la reine est tout amour pour un personnage qui se tient debout à la proue d’un navire de commandement, à voile rectangulaire, qui approche du quai. Trois autres bateaux suivent, plus imposants, que des marins abandonnent en se jetant à l’eau pour rejoindre la rive à la nage et arriver plus rapidement. Le voyage a été long.

Celui qu’elle attend est Senmout, son architecte, conseiller, confident, amant, le seul homme qu’elle ait jamais aimé et qu’elle avait envoyé en exploration dans les profondeurs de l’Afrique, dans un pays actuellement sous la férule d’un régime communiste.

Toute de blanc vêtue, son visage resplendissant soigneusement maquillé, elle s’est coiffée de la double couronne des pharaons et ne porte pour tout bijou qu’un collier d’or en forme de serpent. Une musique diffuse, comme intégrée aux molécules de l’air, se répand sur le port et la ville.

Sans quitter du coin de l’œil l’homme qu’elle chérit et qui s’active maintenant à faire décharger la marchandise rapportée, elle voit débarquer des arbres d’essences diverses, des cages contenant des animaux inconnus, dont un long serpent jaune avec des taches noires, des singes, des bêtes à cornes qui avancent, attachées deux par deux. Puis apparaît un guépard apprivoisé que tient en laisse un homme vêtu d’un pagne et qui marche pieds nus. Arrivent ensuite des guerriers noirs armés de lances et de boucliers peints. Ils viennent pour rendre hommage au pharaon de la part de leur reine, une grosse femme à qui il manque la jambe gauche et dont les explorateurs ont été les hôtes. Il y a eu des morts, durant ce long périple, et les vivants les sortent à leur tour de la cale dans laquelle ils avaient attendu de pouvoir revenir sur leur terre natale.

L’esprit d’Hatchepsout quitte sans transition ces retrouvailles publiques pour l’intimité de sa chambre. Elle s’est délestée de la lourde couronne et se blottit maintenant dans les bras de Senmout. Il est grand, sa peau est sombre, son nez fort et ses lèvres bien ourlées. Il a les cheveux longs et bouclés dans le cou. Il n’a pas quitté l’ample robe blanche, serrée à la taille par un cordon, qu’il portait en débarquant. Je sens son cœur battre à grands coups contre la joue de la reine appuyée sur sa poitrine et qui se retient de respirer pour mieux l’entendre. En cet instant Hatchepsout n’est plus le pharaon autoritaire, incisif, sûr de lui, qu’elle a pour habitude de mettre en avant, mais une femme qui irradie une aura verte, lumineuse, une aura d’amour. Elle n’a qu’un désir : arrêter le temps et rester ainsi, indéfiniment.

Mais cette idée d’infini appelle instantanément d’autres images qui lui déchirent les entrailles. Peu de temps après son retour d’expédition et les visions de bonheur que la reine vient d’évoquer, Senmout disparaît. Comme elle ne peut croire un seul instant à une disparition volontaire, elle fait enquêter dans l’environnement de Thoutmosis qui ne supporte plus d’être supplanté par sa belle-mère et elle ne tarde pas à connaître la vérité. Les compagnons du futur pharaon ont assassiné Senmout en le lardant de coups de couteaux et ils ne se privent pas, en comité de fidèles, d’en ressasser tous les détails. Depuis que le récit lui en a été fait, Hatchepsout ne peut plus s’empêcher d’imaginer la scène qui la prive de son amour et de son soutien. Elle voit ces hommes frapper Senmout à mort avant de lui ouvrir la poitrine pour lui arracher le cœur. Puis une partie d’entre eux attache le cadavre, par les pieds, à deux chevaux qu’ils lancent, sans cavaliers, dans le désert. C’est d’abord la robe blanche qui part en lambeaux, puis les avant-bras qui se détachent tandis que les chevaux se séparent lentement, arrachant les membres inférieurs et éparpillant ainsi le corps dans le désert. Pendant ce temps, le reste de l’équipe maudite longe la voie qui a été construite par Senmout pour relier le Nil au tombeau d’Hatchepsout. À mi-chemin, celui qui porte le cœur encore sanguinolent, le jette sur la chaussée.

Devant ces images atroces, ni Jean-Marc ni moi ne pouvons retenir un mouvement de révolte tandis que, sous nos yeux, la reine s’effondre, assommée par la douleur.

Je demande :

– Que peut-on faire pour elle ?

– Rien, rien, malheureusement ! C’est d’ailleurs peut-être mieux ainsi car nous pourrions être tentés de modifier le cours de l’histoire et Dieu seul sait quelles en seraient les conséquences !

– Alors ?

– Alors il faut attendre. À moins que tu ne préfères aller vers un autre événement ou repartir chez nous ?

C’est le moment que choisit Hatchepsout pour se redresser et regarder à nouveau dans notre direction. Sent-elle vraiment notre présence dans son esprit torturé qui s’aventure à la recherche d’un monde dont elle est exclue ? Le désespoir lui entrouvre-t-il enfin cette porte qu’elle a si souvent tenté de franchir tandis qu’elle priait les dieux au pied des autels ? Tout son être, je le sens, se jette corps et âme dans une recherche qui la tient longuement en haleine. Et puis ses épaules s’affaissent, son regard se voile et l’espoir s’envole. Les visions de mort reviennent, brutales, qui lui broient le cœur.

Des idées de révolte et de vengeance submergent maintenant son esprit. Elle se revoit dans les premières années de son règne, guerrière splendide sur son char lancé au grand galop des chevaux, le bras armé d’une javeline. Son père avait fait d’elle un athlète à l’égal de la plupart des hommes et elle se sent encore, forte de ce passé, capable, elle aussi, de brandir la mort sur ses adversaires.

Elle éprouve tout à coup un intense besoin de sortir de cette chambre, de respirer. Elle s’empare d’une sorte d’écharpe qu’elle pose sur ses épaules et se jette littéralement vers la porte. Nous nous écartons pour la laisser passer et lui emboîtons le pas lorsqu’elle enjambe sa servante toujours endormie. Elle ne s’arrête qu’une fois parvenue au-dehors. Puis elle longe la galerie jusqu’à son extrémité, indifférente à l’absence des gardes, et lève les yeux vers le ciel à qui elle adresse une courte prière pour lui demander son aide.

À l’instant où elle se retourne pour revenir sur ses pas, une lanière siffle dans l’air et s’enroule autour de son cou avant de la tirer brutalement en arrière, à l’ombre du bâtiment. Un premier coup de poignard lui perce le cœur tandis qu’un second lui ouvre la gorge, répandant son sang en abondance.

C’est fini ! Hatchepsout est partie. Elle n’a plus besoin de s’interroger sur la façon dont ses assassins vont lui infliger la mort. Elle peut rejoindre Senmout dans un monde où tous deux attendront paisiblement de renaître à une nouvelle vie dans laquelle ils choisiront peut-être de faire route ensemble.

Le crime a été si rapidement exécuté que je n’ai pas eu le temps de réaliser ! Jean-Marc non plus, semble-t-il, et je perçois un grand émoi dans les pensées qu’il m’adresse :

– L’histoire dit bien qu’elle a été assassinée, mais elle ne précise ni quand, ni comment ! Quelle abomination ! Que les hommes sont vils !

– Elle n’a pas eu le temps de voir venir la mort.

– Il y a des façons plus douces de l’administrer !

– Que va-t-il se passer maintenant ?

– Elle va être transportée jusqu’au temple où les prêtres entameront le processus destiné à préserver son corps pour l’éternité. Dans soixante-dix jours elle rejoindra son tombeau et ses représentations seront martelées pour tenter de la faire disparaître de la mémoire des hommes. Sans y parvenir.

Tandis que Jean-Marc parle, je vois arriver une charrette vide dont le corps a la forme d’un V. Elle est tirée par quatre chevaux. Lorsqu’elle repart, Hatchepsout y est allongée, vêtue d’une longue robe blanche et bleue avec un grand décolleté circulaire.

– Je n’ai pas vraiment envie d’assister à la mise au tombeau, déclare mon ami en brouillant l’image du sinistre corbillard qui s’éloigne. À toi de choisir une autre époque.

– Tu as raison, quittons ces lieux d’infinie tristesse. Tu m’avais laissé sur ma faim à propos des amours du Nil blanc et du Nil bleu. C’est peut-être le moment d’y revenir, puisque nous sommes sur place ?

– L’union entre les deux fleuves a été voulue pour permettre la construction de la pyramide de Kheops. Malheureusement, et par la faute des hommes, ce mariage a eu des répercutions néfastes sur la vie de l’Égypte et des Égyptiens, ainsi d’ailleurs que sur le reste de l’Afrique.

– Qui a voulu cette union ? De quelles répercutions veux-tu parler ?

– La construction de la Grande Pyramide nécessitait, pour le transport des matériaux, un débit plus important que celui normalement fourni par le Nil bleu, d’où l’apport des eaux du Nil blanc qui aurait dû réintégrer son lit d’origine après les travaux. Un événement tragique, à la mesure de la duplicité des hommes, en a décidé autrement.

– Raconte !

– Pas ici ! Je t’emmène au-dessus du Sahara, avant que ne commencent lesdits travaux. Il faut juste faire un nouveau bond en arrière.

Quelques instants plus tard j’ai la surprise de me retrouver, flottant auprès de Jean-Marc, à quelques mètres au-dessus d’une étendue d’eau immense dont je ne peux apercevoir les berges ou les côtes. De petites îles verdoyantes émergent, de-ci, de-là, sur lesquelles se meuvent des silhouettes humaines. De grandes embarcations à voiles sillonnent les flots calmes. Je me tourne vers mon ami :

– Ne devions-nous pas survoler le Sahara ?

– Mais nous y sommes, Antoine ! Il y a cinq mille ans c’était ça, le Sahara. Enfin, une partie du Sahara.

– Une mer ?

– Presque. Nous sommes au-dessus d’un immense lac d’eau douce, alimenté par le Nil blanc et dont le trop-plein s’échappe par quatre bras appelés les fils du Nil. L’Égypte, à partir de Kheops, bénéficiera de l’apport de deux fleuves dont l’un, auparavant, pourvoyait en eau une grande partie de l’Afrique par l’intermédiaire de ce réservoir géant. Pour l’avenir du continent africain, il faudrait d’ailleurs rendre le Nil blanc à son cours d’origine.

– Ce qui reviendrait à mettre l’Égypte encore plus en danger de sécheresse !

– Il y a toujours eu de l’eau en Égypte, grâce au Nil bleu. Mais, en plus de ce liquide indispensable, il fournissait le limon salvateur et nourricié, alors que le Nil blanc, lui, n’était destiné qu’à augmenter le débit en eau. C’est le barrage d’Assouan qui est cause de la sécheresse qui sévit maintenant sur le pays. Ce barrage est un non-sens et devra disparaître un jour. Faute de retrouver son Nil, le désert va s’étendre de plus en plus loin sur l’Afrique. Ce ne sont pas les quelques pauvres hères qui creusent des puits qui pourront remédier à une situation désormais irréversible. Lorsque le « Peuple inconnu » a fait creuser la montagne en amont de l’emplacement où se trouve maintenant la ville de Khartoum, et après avoir fait faire les travaux de canalisation nécessaires pour diriger les flots du Nil blanc vers le Nil bleu, il prenait un risque, mais il avait bien l’intention de tout remettre en ordre une fois la pyramide achevée. Cette déviation devait être limitée dans le temps et sans conséquences. Un acte particulièrement grave commis par des Égyptiens a provoqué une cassure et fait prendre aux Grusiens la décision de se retirer sans rendre leur père aux quatre fils du Nil.

– Ce devait être quelque chose de très grave, en effet, pour aboutir à la condamnation certaine de tout un continent !

– L’assassinat est toujours un acte lourd de conséquences, et plus particulièrement à ce niveau ! Depuis, et sans l’appui du « Peuple inconnu », les Égyptiens sont rapidement revenus à un degré normal de connaissances et de civilisation. Malheureusement nos amis ne se sont pas seulement contentés d’abandonner à leur sort l’Égypte et le continent africain, ils ont aussi laissé choir tout le reste de l’humanité !

– Sans cet événement, ils pourraient être encore visiblement présents parmi nous ? Je veux dire parmi les hommes ?

– C’est probable mais pas certain.

– Il est vrai qu’en cinq millénaires l’humanité avait tout loisir d’en remettre une bonne couche, c’est ça ?

– Nous savons de quoi elle est capable ! Pour en revenir au Nil, je crois t’avoir déjà dit que c’est le plus long fleuve du monde.

– En effet. Mais il est supplanté par l’Amazone pour le débit.

– L’erreur de tous, Antoine, c’est d’avoir considéré le lac Victoria comme étant la source du Nil. En fait, il y a même une deuxième erreur qui est de prétendre que le Nil bleu rejoint le Nil blanc à Khartoum alors que c’est le contraire puisque c’est après avoir été dévié de son lit que le second est venu grossir le premier.

– Donc, selon toi, ce n’est pas dans le lac Victoria…

– Pas selon moi ! Je ne fais que répéter ce qui m’a été dit par nos amis. Le fleuve ne naît pas de ce lac, il le traverse. En réalité il prend sa source dans une région de tourbières, interdite d’accès. Il sort du sol par sept sources distinctes, déjà bouillonnant après un long séjour souterrain. Dans son périple au travers du continent africain il lui arrive d’ailleurs encore, en certains endroits, de retourner sous terre. C’est le cas lorsqu’il fait la jonction entre les lacs Tanganika et Victoria. Il traverse aussi deux lacs salés. Et même là, on est encore très éloigné des sept sources.

– Est-ce qu’il n’y avait pas, du côté d’Assouan, un bras qui se dirigeait vers la Mer Rouge ?

– Si, mais c’était à l’époque où le Nil bleu irriguait seul l’Égypte. En ce temps-là, il passait d’ailleurs plus près de Gizeh que de nos jours. De son cours à proximité du plateau, maintenant desséché et où végètent toujours quelques palmiers rabougris, sera percé un souterrain pour communiquer avec la pyramide. L’arrivée du Nil blanc a creusé un nouveau lit, plus éloigné, mais l’ancien a été maintenu le temps des travaux pour permettre la construction de trois écluses supplémentaires.

– Supplémentaires ?

– Souviens-toi ! Il y en avait déjà une pour monter les blocs jusqu’au niveau du Sphinx, longtemps auparavant.

Nous quittons les eaux claires du lac asséché pour Gizeh, en remontant l’ancien cours du fleuve jusqu’au lieu de sa déviation avant d’entamer la descente. En chemin, nous survolons les cataractes puis de nombreux monuments édifiés par les dynasties qui ont précédé Kheops, parmi lesquels des pyramides de briques crues, dont la plupart déjà en mauvais état. Même celle de Djoser, pourtant bâtie en pierres et due à l’extraordinaire Imhotep, n’arrête pas Jean-Marc. À notre arrivée sur le plateau de Gizeh, le Sphinx trône toujours en maître solitaire, mais le sable a déjà remplacé la végétation et partiellement enterré l’animal dont les pattes, qui enserrent l’entrée, ne sont plus visibles. Nous nous asseyons sur un rocher, à l’emplacement même où s’édifiera la Grande Pyramide et nous laissons notre esprit errer au gré des images.

Une fois les écluses en mesure de faire leur office, ce sont des Nubiens, des noirs, qui ont travaillé à l’édification de ce monument sans égal et avec des autochtones. Ils l’ont fait pour et à la demande du pharaon, avec des initiés Hébreux, mais sous la direction du « Peuple inconnu », sur un site choisi par ce dernier comme étant le centre du monde de l’époque et avec des moyens dont nous ne disposons plus et que nous ne retrouverons pas. Placée très précisément à cet endroit, la nouvelle pyramide devait, par sa position et sa structure, mettre ses incomparables pouvoirs au service de l’humanité.

Les Hébreux ont joué un rôle important dans la confection de l’ouvrage. Le véritable concepteur des plans était Énoch, un grand initié, bien avant que l’un de ses descendants ne les apporte aux Égyptiens. La Grande Pyramide a été bâtie selon le chiffre neuf, le chiffre sacré. Neuf arcs ont été les repères sur lesquels se sont appuyés les architectes. Du concret, rien qui soit surnaturel ou spirituel. Ce sont également les Hébreux qui ont fourni la coudée sacrée aux initiés égyptiens. Ils disaient la tenir de leur divinité. Ils la tenait en fait déjà du « Peuple inconnu ».

Il a fallu plus d’une génération pour élever ce monstre extraordinaire car le façonnage de chacun des blocs qui le composent faisait appel au travail des hommes. Arrachées aux lointaines carrières du sud du pays, les pierres étaient transportées par bateaux, les plus grosses attachées sous les coques, comme l’a démontré l’historien Alain Decaux, le tout étant ensuite hissé jusque sur le plateau de Gizeh par le système des écluses. C’était un moyen tout à fait à la portée des Égyptiens de cette époque, peuple bien plus évolué qu’on ne le pense généralement et qui avait acquis une connaissance parfaite de la planète. Une fois arrivés à destination, les blocs étaient débités et taillés selon les besoins et chaque pièce déplacée jusqu’au pied de l’édifice au moyen de traîneaux tirés par les ouvriers nubiens. Pas par des esclaves. Les constructeurs n’employaient pas non plus une immense armée humaine, pas plus qu’il n’avait été nécessaire d’élever une rampe ou de fabriquer de quelconques et hypothétiques échafaudages.

Depuis les abords du chantier, les blocs de pierre étaient mis en place par lévitation, un acte aisé pour les Grusiens et dont étaient aussi capables des initiés formés par eux, comme le pharaon, certains prêtres et des Hébreux. Ils en modifiaient ensuite la structure, rendant la matière malléable ce qui permettait cette précision totale dans l’ajustement que notre moderne savoir ne saurait imiter.

J’interromps le film qui se déroule dans ma tête pour questionner Jean-Marc :

– Le déplacement de toutes ces masses de pierre par lévitation se faisait au vu et au su de tous les ouvriers ou la nuit, clandestinement ?

– Cela se faisait parfois la nuit, mais surtout de jour sans que personne, du moins parmi les non initiés, n’en ait conscience. Le « Peuple inconnu » a ce pouvoir de fermer les yeux de qui ne doit pas voir.

– Dans ces conditions, pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour édifier ce monument ?

– La mise en place par des initiés ne demandait qu’un nombre réduit de personnes, alors que le transport et le façonnage des blocs exigeaient une main-d’œuvre énorme et durable.

– Quel besoin avaient Kheops et ses successeurs, de s’atteler à ces œuvres titanesques ? Ils voulaient imiter Djoser et ses prédécesseurs ?

– Les premières pyramides, y compris celles de Djoser, n’ont été que des tombeaux réalisés sur un modèle de construction apporté par le « Peuple inconnu » et que l’on retrouve ailleurs qu’en Égypte. Après Kheops, ses descendants ont voulu le copier, et là aussi, sauf pour Khephren qui pouvait encore profiter du savoir de quelques initiés, il s’est seulement agi d’édifier des tombeaux.

– Mais Kheops et sa pyramide, c’est autre chose ?

– Sans comparaison possible ! Le Temple de Lumière, comme il faudrait en réalité désigner ce monument, a été placé là pour sa position centrale par rapport à l’ensemble des terres habitées afin d’apporter, une fois l’œuvre terminée, son aide à l’humanité. Sa position, son orientation, les informations qu’elle contient sur le passé, le présent ou l’avenir, dans tous les domaines, devaient la consacrer aux hommes tout en glorifiant Dieu et le « Peuple inconnu ».

– Alors pourquoi y trouve-t-on ce couloir descendant ou cette chambre dont le plancher est un plafond ?

– Parce que rien n’est jamais acquis avec les occupants de notre planète ! Il y a la voie sacrée, idéale et celle qui dévie et que notre humanité n’a que trop tendance à suivre.

– Et dont on nous fait la démonstration en nous donnant à voir le chemin sur lequel nous sommes engagés : folie, dégradation, descente aux enfers ? La fin du monde ?

– La fin d’un monde, le nôtre, celui qui a débuté avec la naissance de Jésus, sept ans avant la date convenue et qui ne devrait pas tarder à trouver sa conclusion. Ce que les hommes du calife Al Mamoun ont mis à jour ne concerne que cette courte et misérable période avec ses parties fastes et celles qui ne le sont pas.

– Pourquoi le sarcophage que les hommes d’Al Mamoun ont découvert était-il vide et sans couvercle ?

– Il n’était ni vide ni sans couvercle. Il contenait un adolescent, probablement un fils de Kheops, mort pendant la construction et dont le corps a été inhumé dans une chambre en cours de réalisation et qui aurait dû rester vide. Ce sont les Arabes qui ont détruit la momie et sorti le couvercle. Cet ensemble, maintenant visible, était en relation avec le cours ancien du Nil par le souterrain dont je t’ai parlé et qui permettait d’entrer ou sortir. Les initiés qui ont participé à la construction de la seconde pyramide ont ensuite creusé un autre souterrain destiné à relier les deux édifices, le premier ayant été rendu inutilisable.

– Il était important de les relier ?

– Très important ! Il fallait permettre à des individus susceptibles d’apporter leur aide aux hommes, de s’initier en leur ouvrant les parties accessibles des pyramides. Et du Sphinx, qu’il ne faut pas oublier. Pour entrer, il fallait passer par celle de Khephren, celle de Kheops n’étant plus accessible de l’extérieur.  Moïse, avec la Grande Pyramide, Jésus, avec l’ensemble, ont acquis là une grande partie de leur savoir.

– Pourquoi Moïse n’a-t-il pas eu accès à tous les monuments ? À son époque, ils étaient tous construits !

– Erreur, Antoine. Moïse, les Hébreux, les sept plaies d’Égypte, sont des êtres et des évènements en rapport avec Kheops et pas avec Ramsès II. Les sept plaies, le départ des Hébreux, ont été provoqués par l’assassinat du pharaon, de sa reine et de son architecte, qui était peut-être un Hébreux, et sans doute d’un ou plusieurs Grusiens. Tout cela a contrecarré les plans du « Peuple inconnu » en faveur de la planète, et décidé de son retrait. Jusqu’à Kheops, les pharaons étaient des initiés et des descendants de Ra. Certains, et en particulier Kheops, avaient des liens privilégiés avec les Grusiens.

– Mais les Hébreux ?

– Eux aussi bénéficiaient de liens exceptionnels avec nos amis et ils étaient à l’origine de la pyramide, également, avec les plans apportés par un descendant d’Énoch. S’il fallait punir le peuple égyptien pour le crime commis par certains des siens, la punition ne concernait pas les Hébreux vivant dans le pays et qui n’étaient en rien mêlés à ce geste aux conséquences désastreuses pour l’humanité. Le « Peuple inconnu » se devait par conséquent de les éloigner avant de se retirer. Mais les Égyptiens ne voulaient pas de ce retrait.

– Alors les sept plaies qui se sont abattues sur l’Égypte…

– Ont été envoyées par les Grusiens.

– Est-ce que la pyramide était finie, au moment de l’assassinat ?

– Non. Après cet événement elle a volontairement été détournée de sa destination première. Elle est devenue le tombeau du pharaon, de la reine et de l’architecte et le « Peuple inconnu » en a terminé rapidement la construction, en omettant, entre autre, la pointe finale afin de lui ôter tout son potentiel d’aide au genre humain. Bien plus tard, lorsque les Arabes sont arrivés en Égypte, elle était encore revêtue de son enveloppe de calcaire et l’œil ne pouvait soutenir son éclat.

– C’était aussi le cas des deux autres.

– Oui, oui, bien sûr ! Mais le Temple de Lumière, le seul, le vrai, c’est Kheops, les autres ne sont que des imitations !

– Que reste-t-il maintenant de ce Temple de Lumière ?

– Il est toujours là, Antoine, inchangé malgré tout. Ceux qui en ont le pouvoir, et c’est notre cas, peuvent toujours l’admirer dans sa plénitude.

– Grâce à Edéna ?

– Bien sûr. Nous y allons ?

Dans l’instant nous nous retrouvons au XX° siècle, survolant le plateau de Gizeh, dont une foule bigarrée piétine assidûment le sable brûlant. Placé au nord de l’ensemble, j’ai sous les yeux la Grande Pyramide et ses deux sœurs, légèrement décalées, dans le prolongement de mon regard.

Kheops est entièrement enveloppée d’une prodigieuse aura d’un resplendissant bleu électrique qui la remet dans ce qui aurait dû être sa forme originelle, pointe comprise. Un véritable éblouissement !

Le temps seul peut permettre à certaines
vérités de s’extraire du fatras des croyances
et des idées reçues.