Edena Chapitre 16 fin

Initiés

Edena

Découvrez 16 chapitres titillant votre curiosité entre réel et monde irréel, deux milieux qui se côtoient régulièrement pour les initiés comme une source d’inspiration ésotérique, le prolongement automatique d’une vie naturelle, pour les autres une providence d’écrits mis à la disposition librement au plus grand nombre d’entre nous.

CHAPITRE 16 suite et fin

Je m’éveille doucement. C’est en tout cas la sensation qui pénètre mes neurones. J’ai vaguement conscience de l’endroit où je me trouve par contact sensoriel avec mon environnement. Ma peau sent la douceur des fourrures vertes et jaunes sur lesquelles je suis allongé alors que mes paupières, fermées, ne sont pas encore traversées par la lumière du jour. La nuit ne cède que difficilement sa place. Les rayons du soleil qui se lève, de l’autre côté de la montagne, ne peuvent encore qu’à peine titiller les miroirs qui revêtent les parois.

Mais dans le même temps qu’une partie de mon cerveau essaye de me sortir du sommeil, une autre partie s’accroche aux images du dernier voyage effectué avec Jean-Marc et m’enchaîne dans un rêve d’Égypte qui m’empêche de faire surface. Hatchepsout, la double couronne posée sur la tête et les yeux rayonnants d’excitation, fouette les chevaux qui tirent son char de combat lancé au grand galop devant une armée qui l’acclame. Sa course folle se déroule sur fond de Grande Pyramide revêtue de son aura.

Je ne sais combien de temps j’erre ainsi de sensation d’éveil en rêverie, avec des évènements qui se mêlent sans distinction d’époque, mais lorsque je finis par émerger vraiment, les miroirs éclairent déjà copieusement la bulle dans laquelle je me suis réfugié pour la nuit en raison de la pluie qui passait sur Edéna.

Le pèlerinage égyptien s’est approprié mon esprit au point de m’accompagner tout au long des jours et des nuits depuis que nous sommes rentrés. Les sirènes, les baleines, les Sterns, les licornes, enfin toutes ces merveilles que mon ami m’a fait découvrir depuis mon arrivée sur l’île, ont marqué ma mémoire et trituré mon imagination, mais l’Égypte, elle, m’a agrippé par tous les sens. Jean-Marc dit toujours que les lieux qui obsèdent un individu, les pays qu’il rêve de visiter et revisiter, sont des endroits où il a vécu au cours de précédentes réincarnations. Ce sont des espaces de vie dans lesquels il a aimé ou rencontré des êtres proches qu’il retrouve souvent dans les existences suivantes qu’il choisit d’investir pour les progrès de son âme.

Pour ce qui me concerne, il existe quelques endroits qui répondent à cette idée. C’est le cas de la Polynésie, ce qui explique probablement pourquoi je tenais à y entamer l’espace de liberté que je me suis octroyé en montant sur le « Papeete ». Il en va de même pour le Mexique, que je n’ai pas encore eu l’occasion de concrétiser par une visite. Mais, par-dessus tout, il y a l’Égypte des pharaons pour qui je n’ai jamais cessé d’éprouver une sorte de passion. Elle s’est longtemps matérialisée dans l’ingestion de tout ce qui pouvait me tomber sous la main en matière de livres ou de reproductions photographiques. Il n’y a donc rien de bien surprenant dans le fait que je m’éveille, une fois de plus, le cerveau englué dans les images des heures passées auprès d’Hatchepsout et de Kheops.

Ce matin, mon premier regard sur le monde des vivants se porte vers l’entrée de la grotte, tache claire et carrée par où entre maintenant la lumière. Tout près de moi, installés par deux sur les accoudoirs d’une chaise pliante issue du naufrage de Jean-Marc, les quatre cacatoès émergent des brumes de la nuit. À tour de rôle ils s’ébrouent et baillent avant de s’immobiliser, silencieux, le cou tendu et la crête figée. Cette attitude est suffisamment surprenante pour attirer mon attention, nos cacatoès ayant la désagréable habitude d’émettre des sons criards dès qu’ils ouvrent un œil. Dans la pratique quotidienne, nous leur parlons, notre voix ayant la faculté de les faire réagir par des mouvements de tête et de crinière que nous croyons interrogateurs. Cette fois aussi je les questionne :

– Que vous arrive-t-il, les commères ? Il n’y a rien de particulier à entendre ce matin !

Entendre ? Mais c’est ça ! Il n’y a rien à entendre ! Aucun son ne pénètre dans la grotte et les quatre bestioles ont perçu immédiatement cette anomalie. C’est le silence qui les fige sur leurs accoudoirs, l’oreille tournée vers la seule ouverture de notre abri. Habituellement les oiseaux de l’île manifestent leur joie de vivre dès le lever du soleil. Ce matin, rien, pas le moindre son et le silence, absolu, retentit comme une déflagration à l’instant où j’en prends conscience ! C’est en opposition totale avec ce que je vis depuis mon arrivée ici et j’ai besoin de quelques instants pour me remettre de ma surprise. Cela fait, je me dresse et me propulse au-dehors.

Dans son hamac, qui se balance doucement, Jean-Marc dort toujours. Je pose une main sur son épaule et il ouvre les yeux, étonné par l’agitation qu’il perçoit aussitôt en moi. Je prononce un seul mot :

– Écoute.

Il se fait attentif et soudain un sourire radieux éclaire son visage tandis que ses pensées me parviennent avec force :

– Ils sont là ! Antoine. Ils sont revenus !

Dans le même temps qu’il émet, il tourne la tête vers le lagon et son sourire s’élargit davantage. Je suis la direction de son regard et le spectacle que je découvre me coupe le souffle ! Préoccupé seulement d’informer mon ami, je n’avais rien remarqué en sortant de la grotte. Au niveau de la galerie, nous sommes légèrement au-dessus de la cime des arbres qui nous séparent du lagon et là où se trouve habituellement ledit lagon il y a une sphère gigantesque, mate, légèrement aplatie. Je confirme : gigantesque. Jean-Marc m’avait bien dit que le vaisseau spatial des Grusiens mesurait trois cents mètres, mais se l’entendre dire et le constater de visu, c’est une autre paire de manches !

J’éprouve un terrible sentiment de petitesse, et je ne dois pas être le seul dans cet état, si j’en crois le calme qui règne partout sur l’île. Une véritable chape de silence est tombée sur Edéna dont la nature semble entrée en léthargie, abandonnant son monde au souffle d’un vent délicat qui lui caresse l’épiderme au passage.

Lorsque je reprends contact avec la réalité, je regarde Jean-Marc dont le sourire s’est fait béat, et qui réagit à la question que je ne formule pourtant pas :

– C’est étrange ce silence qui englobe l’île chaque fois que nos amis arrivent. Je ne sais pas si cela est dû à la masse de leur navire ou à l’aura, au magnétisme qui s’en dégage, mais chacun des retours, après un certain temps d’absence, produit le même effet. Ensuite, les allées et venues créent l’habitude et nous n’y prêtons plus guère attention.

– Il est colossal !

– Je t’avais dit que les mots ne permettent pas de comprendre ce que l’on peut ressentir en présence du vaisseau lui-même. Et encore, vu d’ici il y a moindre mal.

– Tu crois qu’ils sont là depuis longtemps ?

– Dix minutes ou quelques heures, c’est impossible à dire. L’atterrissage est totalement silencieux.

– Et si l’on arrêtait de bavarder…

– D’accord, Antoine, on y va.

Pas du tout blasé mon ami Jean-Marc, si j’en crois la vitesse à laquelle il m’entraîne sur le sentier qui mène au lagon. Lorsque nous arrivons sur la plage tous les dauphins sont présents, un œil tourné vers le renflement central qui fait à l’engin comme une ceinture à mi-hauteur. Kaor se manifeste aussitôt :

– Il vous en a fallu du temps !

– Nous étions encore dans les bras de Morphée, répond Jean-Marc. Mais vous, comment se fait-il que vous soyez tous là ?

– La chance. Enfin, je suppose, car avec le « Peuple inconnu » tout est possible.

Je perçois l’échange de pensées qui se fait entre Kaor et Jean-Marc, mais sans y prêter vraiment attention, tant je me sens minuscule, accablé par l’énormité de ce qui me bouche la vue. C’est beaucoup plus impressionnant que depuis la grotte. Mon regard, compte tenu de la distance réduite qui me sépare maintenant de la coque, n’englobe plus l’intégralité du vaisseau dont la partie basse affleure la surface du lagon à proximité de sa plage sud, laissant libre la quasi-totalité du bassin. Mon cerveau de Terrien est dans l’incapacité absolue de concevoir la puissance, le savoir, nécessaires pour maintenir pareille masse ainsi suspendue sans contact avec le sol. Mis à part la couronne équatoriale, là-haut, à quelque cent cinquante mètres, et son léger renflement, la coque est lisse et rien ne permet de deviner l’existence éventuelle de panneaux susceptibles d’ouvrir sur les entrailles du monstre.

Devant nous les dauphins s’agitent tout à coup et aussitôt Jean-Marc lève les yeux. Je l’imite, oubliant instantanément toutes pensées concernant la technologie ou la taille du vaisseau spatial. Un panneau s’est ouvert, à moins qu’il ne se soit dématérialisé. En tout cas une ouverture vient d’apparaître dans le renflement. Elle est éclairée et quatre silhouettes se détachent sur ce fond clair. Trois femmes et un homme nous font des signes de la main avant de se laisser glisser dans le vide.

Cet évènement aussi, Jean-Marc me l’avait décrit. Pourtant, malgré les capacités mises à ma disposition par Edéna, j’ai des difficultés à admettre que se balader ainsi physiquement dans les airs soit possible. Mais cette façon de se déplacer est particulièrement représentative des moyens mis à la disposition du cerveau humain lorsqu’il est utilisé dans sa totalité !

Les dauphins sont plus excités qu’ils ne l’ont jamais été depuis que je les fréquente et leurs pensées s’entrechoquent au point qu’ils en oublient de siffler et de caqueter. Je n’ai pas besoin de regarder Jean-Marc pour sentir tout le bonheur qui bouillonne en lui. D’ailleurs je n’ai aucune envie de détourner mon regard des êtres magiques qui descendent vers nous.

Selon les fréquentes descriptions qui m’ont été faites par Jean-Marc, l’homme c’est évidemment Aldoban. La femme qui se tient à sa gauche est brune, ce doit donc être Dénahée. Les deux autres, à sa droite, sont blondes. L’une est Solinia, mais laquelle ? Et qui est la seconde ?

– Elle s’appelle Dorléane, me susurre une pensée de Jean-Marc. C’est celle qui est à côté d’Aldoban. Elle est déjà venue sur l’île et elle est aussi belle que les deux autres. D’ailleurs tous ces êtres sont beaux.

– Je le vois bien !

Arrivés au terme de la descente, les quatre personnages se dirigent vers les mammifères marins qu’ils embrassent sur le bout de leur rostre. C’est une histoire sans parole car l’émotion est grande chez les dauphins qui ont du mal à coordonner leurs pensées. Cela me surprend, je ne les croyais pas aussi émotifs, eux qui, finalement, connaissent le « Peuple inconnu » depuis un bon million d’années. C’est peut-être pour ça, tout compte fait. Ils les ont vus souvent venir en aide aux humains, mais aussi, parfois, les punir.

Aldoban est encore penché vers Arian et sa compagne Ariana lorsque les trois femmes se redressent et glissent à la surface du lagon pour venir à notre rencontre. Un instant cela me fait songer à Jésus marchant sur les eaux du lac de Tibériade et mon esprit ne devait pas être exempt d’un fond de doute car je constate que ma pensée est cueillie au vol par ces dames et que l’une d’elles réagit aussitôt :

– Ce n’est pas pour rien que Jésus a été s’initier dans les labyrinthes secrets du plateau de Gizeh, tu ne crois pas ?

Que répondre ?

Maintenant elles prennent pied avec légèreté sur le sable et Jean-Marc s’avance pour les embrasser. Il leur dit combien il est heureux de leur retour et le petit rire que cela provoque chez toutes les trois en dit long sur ce que cet aveu peut laisser sous-entendre.

C’est mon tour. D’un même mouvement elles me font face et s’immobilisent. Les deux blondes pointent leur index sur leur propre poitrine et donnent leur nom :

– Je suis Solinia, fait la première.

– Et je suis Dorléane, déclare la seconde.

Dorléane mesure une dizaine de centimètres de plus que ses compagnes et par conséquent elle nous dépasse aussi, nous autres, les occupants temporaires de l’île. Aucune de ces trois grâces ne bouge, et même si j’entrevois l’immense Aldoban qui s’approche de Jean-Marc, mon regard reste bloqué sur le spectacle qui m’est offert et qui, il y a trente ans, coupait déjà le souffle à mon ami. Leurs formes sont sculpturales, somptueuses, même si Dorléane semble plus mince en raison de la supériorité de sa taille. Elles ne sont vêtues que d’un bas de maillot de bain et ce n’est pas fait pour orienter mes pensées ailleurs que sur leur physique. Ce qui n’arrange rien, c’est que les ondes qu’elles m’adressent sont caressantes à faire fondre la banquise.

L’arrivée d’Aldoban, qui me donne l’accolade, remet un semblant d’ordre dans ma tête et c’est avec un peu de gène que je l’entends déclarer avec philosophie:

– Qu’elles soient Grusiennes ou Terriennes, Antoine, elles aiment toutes s’amuser avec nos sentiments.

Son intervention amène un large sourire sur les visages de ces dames qui s’approchent et, l’une après l’autre, posent doucement leurs lèvres sur les miennes.

Jean-Marc se glisse entre Dorléane et Solinia et spontanément nous nous prenons la main pour former un cercle. Le lien physique qui se crée par ce geste ne fait pas que réunir nos six corps. L’espace d’un instant il fait de nous une entité unique dans laquelle six esprits se fondent.

Maintenant je ne suis plus seulement l’un des deux occupants privilégiés d’Edéna. Par cette consécration je participe aussi, pour le temps qui m’est imparti, à la vie de notre galaxie.